
Vers un futur PLUSS
Face aux crises, imaginer et discuter les impacts d’une production locale, utile, solidaire et soutenable dans le Dunkerquois et les Hauts-de-France
Alors que les soubresauts de la crise de la Covid-19 se font encore sentir sur la société et l’économie, les Acteurs Pour une Économie Solidaire en Hauts-de-France (Apes) lancent en 2021 un plaidoyer pour une Production Locale Utile Solidaire et Soutenable, la PLUSS.
Le contexte semble propice : les appels à la réindustrialisation et à la transition énergétique se multiplient, certaines industries annoncent entamer leur décarbonation, la recherche de sens dans le travail trouve un nouvel écho. L’Apes fait cependant le constat que les représentations et les imaginaires en cours se complaisent dans des idées reçues sur ce que la production locale est, ou devrait être, et sur la manière de la stimuler.
En réponse, le réseau Apes souhaite faire vivre ses 10 balises pour une PLUSS — du pouvoir d’agir des territoires à la préservation des communs, en passant par la maîtrise des outils de production — à travers une expérience prospective et fédératrice. L’enjeu : surmonter une certaine panne des imaginaires pour montrer, comment, demain, la PLUSS pourrait développer l’économie locale et la résilience des territoires.
Nous avons co-construit la « boîte aux futurs » Vers un futur PLUSS (VFP), un kit tout-en-un pensé pour permettre à l’Apes d’animer des rencontres auprès des acteurs publics comme privés du territoire, mais aussi avec les habitants. Chaque session de VFP propose une expérience de projection participative incitant à :
- Naviguer entre les perspectives interconnectées de la production locale,
- Se positionner par rapport aux enjeux multiples d’une économie avant tout solidaire et soutenable,
- Formuler son opinion sur ce sujet structurant, et d’exprimer ses idées pour un système qui renforce la résilience du territoire.

Les design fictions composant Vers un futur PLUSS sont, elles aussi, le fruit d’une démarche participative ; avec une série d’ateliers de co-scénarisation qui ont rassemblé des acteurs de l’ESS, du monde associatif et des grandes industries installés dans le Dunkerquois. Bien que l’angle des futurs souhaitables ait servi de fil rouge aux spéculations, cette approche coopérative a ouvert la voie à des récits nuancés qui croisent mythes et réalités de la souveraineté industrielle, de la justice socio-environnementale, de la post-croissance et de la redirection écologique.
Au programme de l’exploration, trois futurs possibles :
- Notre territoire souverain
Et si, en 2030, le territoire s’émancipait des décideurs distants pour regagner en autonomie et solidarité ? - Coopérer au nom de la justice socio-environnementale
Et si, en 2035, le territoire optait pour une transition qui soit juste envers toutes les entités du vivant ? - Bien vivre avec l’héritage des communs négatifs
Et si, en 2040, le territoire apprenait à renoncer aux infrastructures, activités et comportements qui mettent en péril les générations futures ?
Chaque scénario a été décliné en deux versions, l’une ancrée dans le territoire Dunkerquois et l’autre adaptée à l’échelle de la région des Hauts-de-France.

Inspiré par le célèbre bitcoin, l’Éthicoin des Hauts-de-France est une cryptomonnaie complémentaire et locale. Chaque Éthicoin qui est « forgé » numériquement par la collectivité selon un principe bien particulier. Une pièce virtuelle est générée et remise pour chaque action éthique effectuée par un habitant du territoire et contribuant à une transition sociale et écologique qui soit juste.
La technologie est mise à contribution pour identifier les « bonnes actions » qui mériteraient l’attribution d’un Éthicoin. Le territoire est maillé de capteurs qui aident des intelligences artificielles à suivre en temps réel les coopérations entre les habitant(e)s, les animaux et les végétaux. Ce réseau permet de détecter et de récompenser automatiquement celles et ceux qui s’engagent pour agir solidairement tout en préservant l’environnement.
Dans un cercle vertueux, l’Éthicoin peut être utilisé pour régler des achats auprès de magasins de proximité et autres services qui s’inscrivent dans une démarche de production locale, utile, solidaire et soutenable. Ce système n’est cependant pas sans poser des questions : cette surveillance-bienveillance permanente qui récompense une consommation éthique ne viendrait-elle pas renforcer une forme de privilèges des personnes qui ont déjà les moyens de « bien faire » ?
Extrait du scénario
Coopérer au nom de la justice sociale et environnementale


↑ Les artefacts du scénario Coopérer au nom de la justice sociale et environnementale mettent en avant l’Ethicoin, une cryptomonnaie locale générée pour chaque action œuvrant pour une transition écologique inclusive.

« On leur a fait une Jean Bart ! »
Voilà comment les habitants du Dunkerquois qualifient leur historique coup de flibusterie de l’an 2030. Dans l’héritage de l’esprit corsaire, tout le Dunkerquois s’est uni pour déposséder les décideurs distants de leur précieux butin (infrastructures, moyens de production, capitaux) et ainsi (re)gagner son autonomie. À la tête de multinationales comme d’administrations centrales, ces dirigeants ont vu leur emprise être sapée !
Le territoire s’est recentré sur lui-même comme un pied de nez à une mondialisation défaillante. Cet élan de souveraineté s’est fait avec la bénédiction de la population prête à encaisser les secousses de l’autonomisation, la bienveillance des pouvoirs publics régionaux cherchant à relocaliser l’économie et la complicité de juristes « piratant » les failles des contrats.
[…]
Avec ce regain de souveraineté, une nouvelle pratique est apparue au sein du Dunkerquois : l’immersion décisive. Toute personne extérieure à la région de Dunkerque et dont les décisions impactent le territoire, dans le secteur public comme privé, doit se plier à un exercice particulier : s’immerger pour pouvoir diriger. Autrement dit, le décideur ou la décideuse doit passer a minima trois mois chez l’habitant(e) et les acteurs locaux pour pouvoir être reconnu(e) comme une donneuse d’ordre légitime.
Extrait du scénario
Le Dunkerquois Souverain !


↑ Le passeport d’une Dunkerquoise effectuant son service empathique, une initiative pour s’immerger auprès d’autres communautés que la sienne.

Renoncer, c’est tout un art !
Comment dire « non » à certaines activités confortables pour nous, mais délétères pour nos écosystèmes ? Comment dire « au revoir » à certains horizons que l’on ne peut plus se permettre ?
Le kit de l’essentiel se propose d’y apporter une réponse. Composé d’un ensemble d’outils pratiques, ce tout-en-un permet de se questionner au quotidien sur ce qui est nécessaire et sur ce qui est superflu.
Il est une aide au renoncement en douceur, pour s’assurer de conserver l’essentiel.
Véritable sésame pour une vie « juste comme il faut », le kit est remis à chaque habitante et habitant lors de cérémonie initiatique dès l’âge de 16 ans. Il est aussi offert aux nouveaux arrivants sur le territoire Dunkerquois.
Extrait du scénario
Bien vivre avec l’héritage des communs négatifs


↑ L’utilitomètre, un outil incontournable du kit de l’essentiel qui aide à évaluer si les objets et services du quotidien sont bien utiles, solidaires et soutenables.
Pour compléter la boîte aux futurs, nous avons adapté plusieurs de nos outils « maison » facilitant la mobilisation des design fictions et former les membres de l’Apes à leur animation. Avec cette boîte aux futurs en main, le réseau d’acteurs a pu faire vivre Vers un Futur PLUSS en terres des beffrois, pour susciter la réflexion et l’engagement des habitants comme des acteurs politiques et économiques autour de cette « nouvelle donne » locale, solidaire et soutenable.
Animer cette mise en futur au plus près des réalités du terrain a ainsi contribué à identifier et anticiper les freins et leviers à la généralisation de la PLUSS dans les Hauts-de-France, mais aussi faire naître des vocations et des initiatives qui s’inscrivent dans cette vision de l’économie sociale et solidaire.

↑ Quelques-uns des outils de la boîte aux futurs permettant d’en discuter, analyser ou encore enrichir les fictions.