
Ruse Against the Machine
Pousser les curseurs critiques pour questionner les nouvelles technologies du management
En novembre 2020, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés organisait air2020, un événement en ligne visant à explorer et questionner les avenirs souhaitables, les innovations qui façonnent notre temps et les révolutions en cours dans le domaine du numérique.
Pour cette première édition, le laboratoire d’innovation de la CNIL nous a donné carte blanche pour explorer le sujet des people analytics ; aussi connus comme la mise en donnée du travail. En pleine crise du Covid-19, le développement du télétravail s’accompagnait alors du déploiement accéléré de ces nouveaux outils RH dopés aux algorithmes, dont les promesses oscillaient entre bienveillance et surveillance. De l’amélioration des performances à un suivi plus personnalisé du parcours des « collaborateurs », en passant par la quête d’un meilleur équilibre vie professionnelle / vie personnelle, quelles questions éthiques soulevaient — et continuent de soulever — ce management par la donnée ?
En clôture de la session, notre studio a proposé une keynote-fiction : une conférence-performance mettant en scène une série de scénarios de design fiction, plongeant ainsi un public de professionnels du numérique dans les futurs possibles et grinçants des people analytics.
Un pitch fictionnel a transporté l’audience à la fin des années 2020, avec la présentation de l’offre et des produits de Connivence, une coopérative de faussaires de la donnée. Le mot d’ordre de ces experts de la contre-surveillance au travail : « Ruse against the machine ».

↑ Les packs de services offerts par Connivence pour déjouer ou détourner les technologies de people analytics.

↑ Le témoignage de Sonia, téléopératrice et utilisatrice du service happyless proposé par Connivence — un ensemble de filtres visuels et vocaux qui donnent l’impression d’être un collaborateur toujours « enjoué » et « dynamique » lors des visioconférences et autres appels qui rythment notre vie numérique.
La keynote-fiction a ainsi mis en scène et en visuels un éventail de solutions (fictionnelles) qui se veulent pratiques et pragmatiques pour esquiver, tromper et détourner les technologies de people analytics. Trois grands besoins étaient couverts par Connivence : échapper à la surveillance managériale, booster sa carrière, et protéger son emploi. Les produits et services s’adressaient aussi bien aux travailleurs qu’aux syndicats, pour se jouer des menaces posées sur la vie privée des personnes par les people analytics.
L’objectif de l’exercice de fiction : interroger les limites éthiques et juridiques de ces technologies pour en anticiper les effets de bord inattendus et les détournements possibles.

↑ d/double, pour recruter un « double » qui va lui aussi générer des données d’activités, en prenant en charge une partie des tâches simples à exécuter, et ainsi doubler les données d’activité pour contenter les métriques de l’employeur.

↑ panoptiCo, le dernier produit de la gamme de Connivence permettant la sousveillance des performances dirigeants d’une entreprise par et pour ses employés.
Ruse against the Machine n’a pas manqué de susciter de vives réactions lors de l’événement air2020, allant de l’enthousiasme à un franc rejet, au point que certains en ont presque oublié qu’il s’agissait d’une fiction. Car comme le rappelait Régis Chatellier, chargé d’études prospectives à la CNIL, « dans le secteur du numérique, la frontière entre réel, plausible et fictionnel est souvent ténue ».